Repères historiques

 

Neuf millions de soldats tués

Les pertes humaines sont épouvantables. Aux 9 millions de soldats tués (voir tableau ci-dessous) s’ajoutent 10 millions de victimes de la terrible épidémie de grippe espagnole qui frappe jusqu’en 1920. La France est affreusement touchée : 1 393 000 soldats tués ! Un combattant sur quatre ! Un million d’invalides à vie ! Les gazés mourront à petit feu, tandis que les 10 000 « Gueules cassées » survivront longtemps sans visage. Six cent quatre-vingt mille veuves, 760 000 orphelins, 35 000 monuments aux morts : la France s’enfonce dans un deuil interminable.

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Source Science et Vie Junior, Hors-série N°54, octobre 2003

Les pertes matérielles sont immenses. Dans la zone des combats, soit le nord et l’est de la France, les destructions sont hallucinantes. Cinq cent villages et 42 000 fermes ont disparu totalement, 50 villes sont détruites à plus de 60%. Deux millions d’hectares de terre, gorgés de gaz toxiques et d’explosifs, truffés de tranchées, sont impropres à la culture. Des millions d’obus non explosés tueront encore pendant des dizaines d’années. Financièrement, le pays s’est appauvri et endetté pour de très longues années, sa monnaie commence une longue descente aux enfers.

 

Les batailles de la première guerre mondiale

Front d’Europe de l’Ouest
(souce Wikipédia)

Liège (8-1914) – Frontières (8-1914) – Anvers (9-1914) – Grande Retraite (9-1914) – Marne (9-1914) – Course à la mer (9-1914) – Yser (10-1914) – Messines (10-1914) – Ypres (10-1914) – Givenchy (12-1914) – 1re Champagne (12-1914) – Hartmannswillerkopf (1-1915) – Neuve-Chapelle (3-1915) – 2e Ypres (4-1915) – Artois (5-1915) – Festubert (5-1915) – Linge (7-1915) – 2e Artois (9-1915) – 2e Champagne (9-1915) – Loos (9-1915) – Verdun (2-1916) – Hulluch (4-1916) – 1re Somme (7-1916) – Fromelles (7-1916) – Arras (4-1917) – Vimy (4-1917) – Chemin des Dames (4-1917) – 3e Champagne (4-1917) – 2e Messines (6-1917) – Passchendaele (7-1917) – Cote 70 (8-1917) – 2e Verdun (8-1917) – Cambrai (11-1917) – Offensive du printemps (3-1918) – Lys (4-1918) – Aisne (5-1918) – Bois Belleau (6-1918) – 2e Marne (7-1918) – 4e Champagne (7-1918) – Château-Thierry (7-1918) – Le Hamel (7-1918) – Amiens (8-1918) – Cent-Jours (8-1918) – 2e Somme (9-1918) – Bataille de la ligne Hindenburg – Meuse-Argonne (10-1918) – Cambrai (10-1918).

Source Géo-Histoire n°25 - Coll. O. Calonge / Adoc-photos

Source Géo-Histoire n°25 – Coll. O. Calonge / Adoc-photos

Source Télérama HS 14-18 - Photo Caudrillers/Excelsior-L'Equipe/Roger-Viollet

Source Télérama HS 14-18 – Photo Caudrillers/Excelsior-L’Equipe/Roger-Viollet

Source Télérama HS 14-18 - Coll. Boyer/Roger-Viollet

Source Télérama HS 14-18 – Coll. Boyer/Roger-Viollet

 

Les femmes pendant la guerre

La mobilisation des femmes dans l’agriculture est rapide, par nécessité en raison des moissons, dès le 7 août 1914. Les paysannes sont ainsi les premières femmes auxquelles le gouvernement français fait appel pour participer à l’effort de guerre. Répondant à l’appel de René Viviani afin que «  les femmes remplacent sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille » les paysannes suppléent l’absence des 1 500 000 travailleurs appelés au front, chiffre qui croît avec les années de conflit : en 1918, 60 % des agriculteurs sont au combat.

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À partir de 1915, les États belligérants comprennent que la guerre va durer. Il faut donc réorganiser les économies, alimenter les tranchées en hommes valides et fabriquer toujours plus d’armes sophistiquées. Partout, il faut alors faire appel aux femmes pour pallier le manque de main-d’œuvre. Mais en France, le recrutement n’est ni systématique, ni massif : les femmes constituaient déjà 32% de la main-d’œuvre avant la guerre : elles ne dépasseront pas 40% atteints à la fin de 1917.

Les femmes du peuple, ont elles, toujours travaillé. La guerre ne les introduisit donc pas dans le monde du travail. En revanche, il y a eu déplacement des industries traditionnellement féminines en crise vers d’autres emplois. Les banques, les PTT, les chemins de fer les embauchent massivement, l’enseignement se féminise dans les écoles de garçons et deux femmes, Jeanne Tardy et Berthe Milliard entrent même au ministère des Finances et du Travail dans le gouvernement Ribot formé en mars 1917.

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A la fin de 1915, on recrute des « munitionnettes », d’abord à des tâches subalternes, puis à tous les postes, y compris ceux qui exigent une grande puissance physique. Elles sont 600 000 en 1918 c’est-à-dire le quart des ouvriers d’usine, attirées par les bons salaires.

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Les infirmières militaires passèrent de quelques centaines en 1914 à 30 000 en 1918 ; à partir de 1915, elles furent d’abord les seules infirmières a avoir accès à la zone des armées ; puis face aux besoins gigantesques au printemps 1917, le ministère de la Guerre autorisa finalement l’admission de volontaires femmes de la Croix-Rouge dans la zone de guerre.

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  • Source des photos : ECPAD, centre d’archives et de production audiovisuelle, établissement public administratif sous la tutelle du ministre de la Défense.

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TEXTES CHOISIS

 

Le pensionnaire

« Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189…
Je continue à dire « chez nous », bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement jamais.
Nous habitions les bâtiments du Cours Supérieur de Sainte-Agathe. Mon père, que j’appelais M. Seurel, comme les autres élèves, y dirigeait à la fois le Cours Supérieur, où l’on préparait le brevet d’instituteur, et le Cours Moyen. Ma mère faisait la petite classe.
Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l’extrémité du bourg ; une cour immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le côté nord, la route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres ; au sud et par derrière, des champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs… tel est le plan sommaire de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie — demeure d’où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures. »

Alain-Fournier – « Le Grand Meaulnes » – Chapitre premier

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« C’était le brigadier Le Meheu qui tenait le fond du corps de garde, les coudes sur la table, contre l’abat-jour. Il ronflait. Je lui voyais de loin les petites moustaches aux reflets de la veilleuse. Son casque lui cachait les yeux. Le poids lui faisait crouler la tête… Il relevait encore… Il se défendait du roupillon… L’heure venait juste de sonner…
J’avais attendu devant la grille longtemps. Une grille qui faisait réfléchir, une de ces fontes vraiment géantes, une treille terrible de lances dressées comme ça en plein noir.
L’ordre de route je l’avais dans la main… L’heure était dessus, écrite.
Le factionnaire de guérite il avait poussé lui-même le portillon avec sa crosse. Il avait prévenu l’intérieur :
– Brigadier! C’est l’engagé !
– Qu’il entre ce con-là !
Ils étaient bien une vingtaine vautrés dans la paille du bat-flanc. Ils se sont secoués. Ils ont grogné. Le factionnaire il émergeait juste à peine le bout des oreilles de son engonçage de manteaux… ébouriffé de pèlerines comme un nuageux artichaut… et puis jusqu’aux pavés encore plein de volants… une crinoline de godets. J’ai bien remarqué les pavés plus gros que les têtes… presque à marcher entre…
On est entré dans la tanière, ça cognait à défaillir les hommes de garde, ça vous fonçait comme odeur dans le fond des narines à vous renverser les esprits… Ça vous faisait flairer tout de travers tellement c’était fort et âcre… La viande, la pisse et la chique et la vesse que ça cognait, à toute violence, et puis le café triste refroidi, et puis un goût de crottin et puis encore quelque chose de fade comme du rat crevé plein les coins… Ça vous tournait sur les poumons à pas terminer son souffle. Mais l’autre, accroupi à la lampe, il m’a pas laissé réfléchir :
– Dis donc, l’enflure, tu veux mes pompes pour te faire bouger?… Passe-moi ton nom, ta nature!… Tu veux pas t’inscrire tout seul? Veux-tu que je t’envoye une berouette… »

Céline – « Casse Pipe »

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« Vous n’avez pas idée de ce que c’est que cette guerre, mon cher ami, et de l’importance qu’y prend une route, un pont, une hauteur. Que de fois j’ai pensé à vous, aux promenades, grâce à vous rendues délicieuses, que nous faisions ensemble dans tout ce pays aujourd’hui ravagé, alors que d’immenses combats se livraient pour la possession de tel chemin, de tel coteau que vous aimiez, où nous sommes allés si souvent ensemble ! Probablement vous comme moi, vous ne vous imaginiez pas que l’obscur Roussainville et l’assommant Méséglise d’où on nous portait nos lettres, et où on était allé chercher le docteur quand vous avez été souffrant, seraient jamais des endroits célèbres. Et bien, mon cher ami, ils sont à jamais entrés dans la gloire au même titre qu’Austerlitz ou Valmy. La bataille de Méséglise a duré plus de huit mois, les Allemands y ont perdu plus de six cent mille hommes, ils ont détruit Méséglise mais ils ne l’ont pas pris. Le petit chemin que vous aimiez tant, que nous appelons le raidillon aux aubépines et où vous prétendez que vous êtes tombé dans votre enfance amoureux de moi, alors que je vous assure en toute vérité que c’était moi qui étais amoureuse de vous, je ne peux pas vous dire l’importance qu’il a prise. L’immense champ de blé auquel il aboutit, c’est la fameuse cote 307 dont vous avez dû voir le nom revenir si souvent dans les communiqués. Les français ont fait sauter le petit pont sur la Vivonne qui, disiez-vous, ne vous rappelait pas votre enfance autant que vous l’auriez voulu, les Allemands en ont jeté d’autres, pendant un an et demi ils ont eu une moitié de Combray et les Français l’autre moitié. »

Marcel Proust – « Le temps retrouvé »

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« Il faut nettoyer ça. Je revendique alors l’honneur de toucher un couteau à cran. On en distribue une dizaine et quelques grosses bombes à la mélinite. Me voici l’eustache à la main. C’est à ça qu’aboutit toute cette immense machine de guerre. Des femmes se crèvent dans les usines. Un peuple d’ouvriers trime à outrance au fond des mines. La merveilleuse activité humaine est prise à tribut. La richesse d’un siècle de travail intensif. L’expérience de plusieurs civilisations. Sur toute la surface de la terre on ne travaille que pour moi. (…) La foule des grandes villes se rue au ciné et s’arrache les journaux. Au fond des campagnes les paysans sèment et récoltent. Des âmes prient. Des chirurgiens opèrent. Des financiers s’enrichissent. Des marraines écrivent des lettres. Mille millions d’individus m’ont consacré toute leur activité d’un jour, leur force, leur talent, leur science, leur intelligence, leurs habitudes, leurs sentiments, leur cœur. Et voilà qu’aujourd’hui j’ai le couteau à la main. L’eustache de Bonnot. « Vive l’humanité ! » je palpe une froide vérité sommée d’une lame tranchante. J’ai raison. (…) Me voici les nerfs tendus, les muscles bandés, prêt à bondir dans la réalité. J’ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, les gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, démoniaque, systématique, aveugle. Je vais braver l’homme. Mon semblable. Un singe. Œil pour œil, dent pour dent. A nous deux maintenant. A coups de poing, à coup de couteau. Sans merci. Je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J’ai tué le Boche. J’étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J’ai frappé le premier. J’ai le sens de la réalité, moi, poète. J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre.

Mille millions d’individus m’ont consacré toute leur activité d’un jour, leur force, leur talent, leur science, leur intelligence, leurs habitudes, leurs sentiments, leur cœur. Et voilà qu’aujourd’hui j’ai le couteau à la main. L’eustache de Bonnot. « Vive l’humanité! » Je palpe une froide vérité sommée d’une lame tranchante. J’ai raison. Mon jeune passé sportif saura suffire. Me voici les nerfs tendus, les muscles bandés, prêt à bondir dans la réalité. J’ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, les gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, démoniaque, systématique, aveugle. Je vais braver l’homme. Mon semblable. Un singe. Œil pour œil, dent pour dent. À nous deux maintenant. À coups de poing, à coups de couteau. Sans merci, je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J’ai tué le Boche. J’étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J’ai frappé le premier. J’ai le sens de la réalité, moi, poète. J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre. »

Blaise Cendras – « J’ai tué » – 1918

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« C’est alors que le tonnerre est entré : nous avons été lancés violemment les uns sur les autres par le secouement effroyable du sol et des murs. Ce fut comme si la terre qui nous surplombait s’était effondrée et jetée sur nous. Un pan de l’armature de poutres s’écroula, élargissant le trou qui crevait le souterrain. Un autre choc : un autre pan, pulvérisé, s’anéantit en rugissant. Le cadavre du gros sergent infirmier roula comme un tronc d’arbre contre le mur. Toute la charpente en longueur du caveau, ces épaisses vertèbres noires, craquèrent à nous casser les oreilles, et tous les prisonniers de ce cachot firent entendre en même temps une exclamation d’horreur. »

Henri Barbusse – « Le feu, journal d’une escouade »

parution novembre 1916

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GRODEK

Le soir, les forêts automnales résonnent
D’armes de mort, les plaines dorées,
Les lacs bleus, sur lesquels le soleil
Plus lugubre roule, et la nuit enveloppe
Des guerriers mourants, la plainte sauvage
De leurs bouches brisées.
Mais en silence s’amasse sur les pâtures du val
Buée rouge qu’habite un dieu en courroux
Le sang versé, froid lunaire ;
Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire,
Sous les rameaux dorés de la nuit et les étoiles
Chancelle l’ombre de la sœur à travers le bois muet
Pour saluer les esprits des héros, les faces qui saignent ;
Et doucement vibrent dans les roseaux les flûtes
sombres de l’automne
Ȏ deuil plus fier ! autels d’airain !
La flamme brûlante de l’esprit, une douleur puissante
la nourrit aujourd’hui,
Les descendants inengendrés.

Georg Trackl – Poème publié dans le revue « Le Brenner » (1914-1915)